-
Ancien avocat général puis procureur de la République dans les Hauts-de-France, Luc Frémiot juge insuffisantes les mesures de lutte contre les violences conjugales annoncées le 3 septembre par le Premier ministre.
-
Mobilisé depuis près de quinze ans sur cette question, il se consacre désormais à l’écriture de romans et témoignages de ses années passées dans les tribunaux.
Le regard fixe, Luc Frémiot prévient d’emblée, il n’aime pas la langue de bois. « Je ne l’ai jamais fait, je ne veux pas démarrer aujourd’hui ». Jeune retraité de la magistrature, cet ancien avocat général multiplie depuis des mois les interventions pour interpeller opinion publique et dirigeants sur un sujet : la lutte contre les violences conjugales. Engagé depuis près de quinze ans sur cette question, Luc Frémiot a tenté, dans sa juridiction, d’apporter des réponses concrètes aux féminicides.
Eviction du conjoint violent du domicile, ouverture systématique d’enquêtes et informations judiciaires, stages de responsabilisation pour les auteurs de violence, l’ancien magistrat défend aujourd’hui le bilan mis en place lorsqu’il était procureur de la République au TGI de Douai. Très critique à l’égard du Grenelle des violences conjugales lancé le 3 septembre par Marlène Schiappa et Edouard Philippe, il appelle à un sursaut du gouvernement.
Au fil de votre carrière, vous vous êtes imposé comme une « figure » de la lutte contre les violences conjugales. Quand cet engagement est-il né ?
En 2003, lorsque j’étais procureur de la République. J’ai toujours considéré qu’un procureur pouvait conduire et mener une politique pénale. J’avais été sensibilisé par des dossiers jugés aux assises dans lesquels des appels au secours de femmes n’avaient pas été entendus, écoutés. Si on avait pris au sérieux ces femmes, si on avait pris le temps de recevoir les auteurs de violences, on aurait pu éviter certains assassinats.
A l’annonce du lancement par Marlène Schiappa du Grenelle des violences conjugales, vous vous êtes montré particulièrement critique. Pourquoi ?
Parce que, comme d’habitude on prend le problème à l’envers. On a engagé le Grenelle sur une demande de financement du milieu associatif. Or aujourd’hui, personne n’est capable de mettre un milliard d’euros sur la table. Alors on nous propose 1.000 places d’hébergement d’urgence supplémentaires pour les femmes victimes de violences mais tout cela est dérisoire. Il faudrait commencer par appliquer la loi. Les différentes mesures proposées dans le cadre du Grenelle –et d’ores et déjà annoncées par le Premier ministre– sont essentiellement des mesures d’accompagnement des femmes battues. On ne propose rien pour qu’elles ne le soient plus. On ne dit pas un mot sur la prise en charge des auteurs de violence.
Lorsque j’entends Marlène Schiappa dire qu’elle a des « problèmes philosophiques » à imaginer accueillir des auteurs de violences dans des centres pour les mettre aux mains de psychiatres et de dépenser de l’argent pour cela, je lui retourne la question. Est-ce qu’elle a des problèmes philosophiques lorsque des femmes quittent leur domicile en pleine nuit avec les enfants sous le bras pour trouver une place d’accueil dans un hébergement d’urgence ? C’est du bon sens. Il ne faut pas opposer victimes et auteurs. On ne pense pas non plus assez aux enfants à mon sens. Or ces enfants sont marqués à vie. Ils sont à la fois témoins, otages et victimes.
Une proposition de loi relative aux violences faites aux femmes a été présentée mercredi. Elle prévoit notamment un renforcement de l’ordonnance de protection. Est-ce nécessaire selon vous ?
Toutes les mesures prises pour renforcer l’ordonnance de protection sont excellentes. Elle permet aux juges aux affaires familiales de prononcer l’éviction du domicile conjugal de l’auteur, de fixer les modalités de cette éviction – par exemple, même si le bail est au nom du conjoint violent, il peut être amené à continuer de payer le loyer –, elle peut statuer sur la garde et le droit de visite des enfants, ce qui est très important. Cette proposition de loi porte aussi une obligation pour les procureurs de communiquer avec les juges aux affaires familiales. C’est une bonne chose, il faut que les magistrats se parlent, il faut établir des passerelles.
Quelles seraient, selon vous, les initiatives les plus urgentes à mettre en place ?
Les toutes premières violences devraient faire l’objet d’une prise en compte immédiate par les services de police et de gendarmerie. Il faudrait supprimer les mains courantes qui ne servent à rien puisqu’elles n’engendrent aucune enquête. Les procureurs de la République doivent immédiatement traiter les plaintes, il faut arrêter avec les classements sans suite. Il faudrait aussi évincer l’auteur du domicile familial pour provoquer un choc psychologique. Je ne peux pas supporter l’idée que des femmes victimes de violences quittent leur domicile avec leurs enfants. Ce n’est pas supportable. Ensuite, il faudrait pouvoir confier les auteurs de violences à des psychiatres et psychologues pour les faire réfléchir sur les conditions du passage à l’acte. C’est ce que j’ai tenté de mettre en place quand j’étais procureur de la République, et ça a porté ses fruits.
Certaines femmes, mobilisées depuis des années contre les violences conjugales, ont mal vécu le terme de « grande fête aux associations » que vous avez employé lors d’une interview pour qualifier ce Grenelle. Que leur répondez-vous ?
Ce n’est pas les associations que je visais mais l’organisation de ce Grenelle. J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour ce que font ces organisations et certaines aujourd’hui meurent de faim. Pour le Grenelle, il y a eu un choix qui a été fait et certaines associations critiques, comme Osez le féminisme !, n’ont pas été conviées. Si cet événement consiste à choisir ses interlocuteurs, c’est un très mauvais signal envoyé.
L’Espagne est régulièrement désignée comme pays en « pointe » en matière de lutte contre les féminicides. Qu’a fait le pays que la France n’a pas fait ?
J’ai eu l’occasion de rencontrer une ministre espagnole il y a quelques années. Elle était animée par une volonté absolue que je n’ai jamais rencontrée depuis chez un ou une responsable politique en France. Il y a eu une prise de conscience nationale en Espagne pour mettre en place une loi-cadre en 2004. Ici, on est encore loin de tout ça. Pourtant, quand on travaille sur les violences conjugales, on travaille pour l’avenir. Dans les trois quarts des cas, il y a des enfants dans ces dossiers. Certains deviendront auteurs, d’autres victimes et une partie sera résiliente. Mais c’est un tiers, un tiers, un tiers.
La ministre de la Justice a également commandé une enquête à l’inspection générale de la justice pour éplucher les « loupés » éventuels dans les cas d’homicides jugés en 2015 et 2016. Vous réclamiez une telle enquête dans une pétition lancée en juillet dernier. Pourquoi est-ce nécessaire ?
Il faut tout mettre sur la table, faire un état des lieux et en tirer les conséquences. Si des fautes lourdes ont été commises par des officiers de police judiciaire ou des magistrats, il doit y avoir des sanctions. La justice est rendue au nom du peuple français, quand des fautes lourdes sont commises, elle doit pouvoir rendre des comptes.
Article écrit par Hélène Sergent le 04/10/2019 pour 20minutes
Contact
06.29.27.29.88
contact@quillet-psy.fr
Quelques Infos
N° ADELI : 699 320 297
N° SIRET : 535 230 270 000 22